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CLXXII


« Vous allez donc nous reprendre mon enfant ! dit enfin la malheureuse Luce, en recouvrant la parole et en serrant Bastien sur ses genoux.

L’enfant se pendait à son cou, et jetait de cet asile un regard de colère et d’effroi à la supérieure, à Geneviève, à l’étrangère et aux assistants.

« Vous le voyez, il n’est pas à vous, dit sévèrement le juge de paix.

« — Il n’est pas à moi ! s’écria Luce en se levant comme par un ressort mécanique et en élevant le petit dans ses bras, comme pour prendre Dieu à témoin de la violence que ce rapt allait faire aux droits qu’elle se sentait dans le cœur ; il n’est pas à moi ! qu’il me rende donc le mien, que j’ai perdu pour l’amour de celui-là ! le lait dont je l’ai nourri, les pleurs de mes yeux, dont je l’ai arrosé dans ses maladies ; le sang de mon cœur, qui a passé dans le sien ! et essayez donc voir de lui ôter aussi son cœur à lui de sa poitrine, pour qu’il me le reprenne, s’il peut ! et qu’il le rende à celle-là et à celle-là ! ajouta-t-elle avec un air et un accent de mépris, en jetant un coup d’œil devenu presque farouche sur Geneviève et sur la dame étrangère.

« — Oui, dit Bastien en montrant les poings et en répétant les mots de sa mère : essayez voir de me prendre mon cœur, qui est à Luce et Jean pour le donner à celle-là. Non, non, non ; pas même à toi, Geneviève, quoique tu sois si bonne, et que tu aies guéri mon père. »

Geneviève se sentit atteinte au cœur. La vieille dame parut surprise et déconcertée, la supérieure embarrassée.