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« Ah ! quelle bonne journée j’avais passée, et comme ça me fit m’endormir plus contente ! Ce n’était pas mal, n’est ce pas, bien que je n’eusse pas le droit d’aller dans la cour et dans l’escalier de la voisine sans sa permission ?

« — Oh ! non, dit Geneviève, je ne crois pas que ce fût mal.


CLX


« — Eh bien ! ça continua ainsi tous les jours, et deux ou trois fois par jour pendant deux mois. Il fallait voir comme l’enfant profitait ! on eût dit qu’il tetait les fées pendant son sommeil.

« Quant à moi, ma pauvre Geneviève, il me semblait que j’avais deux enfants au lieu d’un et que mon cœur se partageait entre celui-là et le mien ! On m’avait bien toujours dit que l’enfant se greffait par la mamelle à la femme étrangère, comme le fruit d’un arbre se greffe aux branches de nos sauvageons dans notre verger ; mais je ne l’avais jamais cru. Ah ! je le crois bien à présent, allez ! Quand je sentais à mon sein la jolie petite bouche rose de ce petit abandonné, qui ne voulait pas plus s’en décoller que l’agneau du sein de sa brebis, quoiqu’on le tire par la patte, et quand je sentais que la douce chaleur de mon corps et du sien se confondaient sur mon propre cœur comme pour chauffer un berceau vivant à ce petit malheureux tombé sans nid sur la terre, et quand mon lait faisait un petit ruisseau sur ses lèvres, et que je me disais : « Cette vie qui va couler en lui et grandir avec ses membres d’enfant, c’est pourtant ma vie ! » ah ! il s’en fallait de bien peu que je ne regardasse ce nourrisson aussi amicalement que