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« Ah ! le bel enfant que je vis ! Mais tenez, vous pouvez bien le voir lui-même : c’est Bastien que voilà ; il a bien grandi, mais c’est toujours la même jolie figure de jeune fille et les mêmes cheveux, un peu brunis par la fumée de la colophane et du magnien seulement !

« Il avait dégagé ses bras pour chasser les mouches qui lui suçaient le peu de sang qui lui restait. Il me les tendit comme pour me demander de le prendre. Il sourit à mon petit, il balbutia je ne sais quoi ; on eût dit qu’il cherchait à parler. Cela me fendit l’âme en deux, monsieur ! Je déposai le mien sur le pied du berceau, j’ôtai les bretelles du maillot ; je pris l’enfant dans mes bras, je l’approchai à la source, je jouai avec lui, et puis, n’y pouvant plus résister, à la peine et au plaisir que son gracieux visage me faisait, je pris ma hardiesse à deux mains, j’ouvris mon fichu et je lui donnai le sein tant qu’il voulut bien. Si vous l’aviez vu, Geneviève, quel transport ! quelle joie ! quelle ivresse de petit affamé ! quels piétinements de ses petits pieds nus ! quels trépignements de ses jolies petites mains sur ma poitrine ! Je croyais qu’il allait me boire tout entière. Mais, en vraie vérité de Dieu, j’étais si aise de le voir rassasié une fois dans sa vie, que je pensais à peine à en garder pour le mien. Mais le bon Dieu est le bon Dieu, comme dit Jean ; là où il y en a pour un, il y en a pour deux.

« Quand il eut teté sa suffisance, je le remis dans son berceau, je le portai sous le poirier à l’ombre avec mon petit, et je restai là jusqu’au soleil couchant à les faire tantôt dormir, tantôt jouer, tantôt teter ensemble. Après cela, je remis tout sur le palier de la mère Maraude comme je l’avais trouvé, et je me sauvai à petit bruit dès que j’entendis le grelot de son âne dans le bas du sentier au fond de la ravine.