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étable. Leurs gémissements et leurs plaintes me faisaient trembler le cœur dans les flancs. Je ne pouvais travailler ou coudre en joie pendant que je sentais souffrir autour de moi ces innocentes créatures.

« Vous me direz : « Qu’est-ce que la mère Maraude et ses nourrissons font à votre racontance ? » Vous allez comprendre pourquoi je vous dis ce détail, et je ne le dis pas par médisance. D’ailleurs la méchante femme est morte, et Dieu veuille lui pardonner les cris de ses enfants, comme Jean et moi nous lui pardonnons les poires.


CLVIII


« Je vous ai dit, mam’selle Geneviève, que j’étais accouchée d’un beau garçon, mais un peu délicat de peau, pourtant, comme moi, et que, la sage-femme étant partie de chez nous pour son village, j’allaitais toute seule mon fruit de trois mois dans notre maison, en attendant mon mari et en me faisant une image de son plaisir. L’enfant profitait que c’était une bénédiction ; on aurait dit que j’avais assez de lait pour en abreuver deux. Je le promenais la moitié du jour dans le verger, et le faisant sauter dans mes bras tendus et en le recevant sur le sein comme une escarpolette.

« Souvent, dans ces promenades à travers le verger, je m’approchais jusque vers le poirier, et j’entendais pleurer de soif ou crier des mouches un joli petit nouveau nourrisson de six mois que la mère Maraude avait rapporté, il n’y avait pas longtemps, de la ville, soi-disant pour lui donner le sein. La méchante, la menteuse, elle ne lui donnait que le pis de sa chèvre, et encore quand les cabris en avaient de reste.