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autre, à la dérobée, la figure de la jeune femme enceinte, pour voir si sa physionomie promettait de la méchanceté ou de la compassion. Le soleil qui se levait et dont un rayon, frappant sur la porte, rejaillissait sur sa tête, éclairait de mieux en mieux son charmant visage, un peu languissant. J’ouvrais des yeux aussi grands que les pensées doubles de mon pot de fleurs. Il me semblait, plus je regardais, que j’avais déjà vu quelque part ces beaux traits, ces cheveux châtains, ces épaules souples et détachées, ce cou long et penché, cette bouche souriante, ces yeux couleur de peau de prune, vifs et tendres comme du feu à travers un tamis mouillé. Je me disais : Pourtant, c’est impossible, tu n’es jamais de ta vie venue dans ce pays perdu, avant cette nuit terrible où l’orage t’y a jetée comme un brin de paille. » Mais j’avais beau me dire ça, mes yeux en savaient plus que mon raisonnement, et me disaient toujours : « Tu l’as vue. Cherche bien dans ta mémoire, ce n’est pas la première fois que cette figure entre dans ton regard ; voyons, ressouviens toi bien.


CVII


« Juste ciel ! que je m’écriai tout à coup tout bas en moi-même en faisant un mouvement en arrière, comme si on m’avait donné un coup de poing dans la poitrine, et en me sentant un frisson entre les épaules, comme s’il m’était tombé une gouttière sur le corps ; juste ciel ! mes yeux n’avaient que trop raison. Malheureuse ! où te cacher ? C’est la figure de la jeune fille qui est venue une fois dans ta boutique à Voiron pour se faire faire ses robes