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« Les vaches ne se levèrent seulement pas ; j’entendis seulement le son de deux ou trois clochettes qu’elles avaient au cou, et qu’elles firent tinter en relevant la tête pour savoir qui est-ce qui entrait si matin dans l’étable.


CIII


« L’abri, la chaleur et la bonne odeur de l’étable des vaches, couchées sur un plancher de bois bien lavé et bien balayé tous les jours dans ces montagnes comme dans celles de la Suisse et du mont Jura, me ranimèrent en peu d’instants mieux que n’aurait fait un feu de bois clair comme le nôtre, et me rendirent le sentiment et la pensée. Je m’avançai à tâtons, éclairée seulement par le peu de jour qui tombait de la lune par une lucarne, et par les yeux des vaches inquiètes, qui brillaient dans l’obscurité comme des étoiles. J’allai ensuite jusqu’au fond de l’écurie, où il faisait encore plus chaud que vers la porte, je pris une brassée de foin sec dans le râtelier, et je me couchai dessus, toute tremblante et toute trempée de neige fondue, à côté d’une superbe génisse noire, qui se rangea pour me faire place dans sa case, et qui me réchauffait de son souffle en flairant d’effroi l’inconnue qui venait partager sa litière. Je la flattai tout bas de la voix et de la main ; au bout d’un moment elle était déjà apprivoisée avec moi, et elle ruminait aussi paisiblement que si j’avais été la laitière ou la servante de l’étable. Le foin dans lequel je plongeai mes pieds, mes mains, ma tête, comme dans une serviette de chanvre rude sortant du métier du tisserand avant d’avoir été blanchie, l’air tiède, la respiration des vaches,