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Je me jetai sous le lit moi-même pour arracher le couteau du cou de l’agneau ; il me tendit la tête de lui-même et me laissa faire, comme s’il avait compris que je voulais le soulager et non le perdre. Mais à peine eus-je arraché la lame, que le sang coula à gros bouillons sur mes mains, et qu’il expira dans mes bras ! Le chien tremblait de douleur comme s’il avait frémi de voir égorger son compagnon et comme s’il avait eu la même horreur que moi de la mort et du sang ! Je pleurais moi-même comme lui, l’agneau mort sur mes genoux, le chien hurlant à mes pieds, mêlant mes hurlements aux siens et mes larmes au sang de l’agneau. Ah ! monsieur, je n’avais jamais vu de crime, mais celui-là me fit comprendre les autres et ne put jamais s’effacer de moi.

« Je ne fis pas de reproches aux maîtres. Je me dis : Ils sont les maîtres de ce qui leur appartient ; le cadavre de l’animal est bien à eux, mais enfin son amitié était à moi ! Pourquoi me l’enlever en trahison ? Allons-nous-en. »

« J’embrassai le chien ; je le plaignis de rester, lui, dans une condition si dure ; mais je ne pouvais plus y rester, moi, d’abord parce que j’aurais toujours eu cette scène d’horreur, ce meurtre et ce sang devant les yeux, dans ma chambre, ensuite parce que l’assassinat de mon pauvre compagnon de lit et de jardin m’avait tellement bouleversée, que je n’aurais pas pu de longtemps faire la cuisine et toucher un morceau de viande crue sans m’évanouir. De ce coup, j’avais perdu mon état. Je pris mes gages de trois ans, mon paquet sous le bras, et je partis de Tarare sans trop savoir où j’irais reposer ma tête. Je ne pouvais plus me présenter dans aucune maison bourgeoise pour servir à tout, puisque la cuisine me répugnait jusqu’à me faire évanouir. Je me dis : « Je vais revenir en