Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/322

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LXXX


« Après cela, je rentrai chez moi, et le lendemain, voyant qu’il n’y avait plus que quelques pauvres liards dans le tiroir, je me dis : « Tu dois pourtant gagner ton pain ; tu ne peux pas mendier à ton âge. Allons, coûte que coûte, il faut rouvrir la boutique, chercher de l’ouvrage, travailler et vendre pour vivre. »

« J’eus le courage d’ouvrir, monsieur, d’étaler mes petites marchandises et de m’asseoir au comptoir, comme à l’ordinaire, de supporter les regards, les sourires et les chuchotements des passants, comme si rien n’était arrivé à la maison ; mais personne n’entra plus, monsieur, excepté un ou deux mendiants pour me demander l’aumône. J’entendis des méchantes langues dans la rue qui disaient : Faut-il avoir du front ! Ah ! si sa pauvre belle petite Josette avait vécu, aurait-elle été humiliée de voir la honte de sa sœur aînée ! Elle était jolie au moins, celle-là ! Le bon Dieu a bien fait de la prendre pour lui ! »

« Et puis, il y avait dans la rue, en face, une mauvaise femme qui, me voyant partie, et me croyant hors du pays ou en prison pour longtemps, s’était dépêchée de prendre ma place, m’avait soutiré toutes mes pratiques, et ne cessait pas de me montrer au doigt en disant aux uns et aux autres : « Qui est-ce qui oserait maintenant acheter pour deux liards de savon seulement dans une pareille boutique ? Ça tacherait les doigts au lieu de les laver. »

« Dieu ! en ai-je souffert pendant cette malheureuse semaine ! Mes sœurs de père et mes cousines me reniaient les premières et ne mettaient plus les pieds à la maison.