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cousins. Je me disais, en l’enveloppant dans son linceul comme un enfant dans son maillot : « Voilà donc pourquoi j’ai renoncé à me marier avec Cyprien ! C’était pour me marier avec la mort ! »

« J’étais reconsolée pourtant, autant que je pouvais l’être, par l’intérêt que les parents, les voisins et les voisines me montraient dans mon affliction. C’était un cri dans tout Voiron ; on venait en foule à la porte de la boutique ; on disait : « Quel malheur ! quel dommage ! une si belle enfant, une fille si laborieuse et si sage ! Jamais la rue n’en reverra de pareille ! C’était la rose du pays ! Le bon Dieu l’a cueillie ! Pauvre Geneviève ! »

« Quand le matin du second jour fut venu, les cloches sonnèrent comme pour une vraie dame ; les jeunes filles de la ville, riches ou pauvres, vinrent, vêtues de blanc, épingler des bouquets blancs aussi sur le drap de sa bière et accompagner le cercueil à l’église et au cimetière ; on y planta une belle croix de fer, toute couverte de rubans blancs, de couronnes d’immortelles, blanches aussi, symbole et honneur des jeunes filles mortes dans leur innocence baptismale. La croix ressemblait à un cep de vigne tout chargé de grappes, ou à un pommier nain, couvert de fleurs sur toutes les branches. C’est la mode du pays, monsieur ; et quand une jeune fille n’a pas cela sur son tombeau au cimetière, ça n’est pas bon signe pour sa mémoire et pour sa famille.

« J’y allai aussi le soir moi-même, quand la nuit fut quasi tombée, et j’y vis ces fleurs et ces rubans ; ça me fit encore davantage pleurer que s’il n’y avait rien eu ! Je me disais : « Ça trompe les hommes ! mais ça ne trompe pas les anges. Pauvre enfant ! il faut que la tombe garde ton secret ! il faut que la croix mente pour conserver la pureté de ta famille dans Voiron ! »