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mais, s’étant embarrassé les pieds dans les plis du drap qui était déjà tout tordu par ses convulsions, elle tomba la tête la première sur le carreau, jeta un cri et resta sans mouvement au pied du lit !

« Ah ! j’entendrai toute ma vie ce cri et le coup sourd de sa chute sur le plancher. Je m’élançai, je la pris dans mes bras, je l’appelai : « Josette ! Josette ! » Je la portai vers la fenêtre pour lui faire respirer l’air de la nuit ; rien n’y fit, elle était comme morte dans mes bras ! Je l’étendis sur le lit, je lui jetai de l’eau sur les tempes, je pris ses mains dans les miennes, je mis ma bouche contre sa bouche ; elle ne respirait toujours pas ; elle devenait froide, comme j’avais senti ma mère en l’ensevelissant.

« — Malheureuse que tu es ! m’écriai-je en me parlant à moi-même, tu as tué ta sœur ! »

« Et je tombai sans connaissance sur le plancher.

« Je ne sais pas combien de temps j’y restai ; mais, quand je repris mes sens, ma sœur était encore immobile et sans souffle sur le lit ! Je me remis à genoux devant, la tête sur son corps, priant Dieu, priant tous ses anges et tous ses saints, priant ma mère surtout de la ressusciter et de me prendre à sa place ! J’étais comme dans un rêve, monsieur, et cependant j’étais éveillée ! C’est alors que j’entendis là, comme je m’entends, la voix de ma mère dans mon oreille ; mais sa voix plus sévère que je ne l’avais jamais entendue pendant sa vie, qui me dit : « Caïn, Caïn ! qu’as-tu fait de ta sœur ? » comme elle m’avait lu ces mots dans sa Bible !

« On m’a bien dit depuis que c’était une illusion, un écho de ces paroles que j’avais entendues d’elle autrefois, et qui sonnait de loin dans ma tête troublée par le désespoir ; mais j’entendis pourtant si bien ces paroles, que j’y répondis tout de suite, comme je réponds quand on m’appelle.