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dai d’être bien sage, je l’embrassai et je revins m’habiller.

« À peine avais-je fini de boucler mes souliers et d’épingler mon fichu rouge devant et derrière ma robe de soie verte, que j’entendis le pas d’un mulet qui s’arrêtait devant la porte. On frappa, j’ouvris : c’était Cyprien en habits neufs, en souliers neufs, en chapeau neuf à grands bords tombant sur les épaules, presque aussi longs et aussi noirs que ses cheveux. Il ne faisait pas encore bien jour, bien que ce fût trois semaines après Pâques. Il n’y avait personne encore aux fenêtres ni dans la rue.

« Cyprien avait marché de nuit pour m’emmener dès le point du jour, afin d’arriver à l’heure de la messe au village. Le mulet mangeait sur la porte, dans une résille de chanvre cordé qui lui passait autour du cou et qui lui rapprochait son herbe de la bouche. Il avait un panache rouge sur le front, un collier de grelots qui sonnaient gaiement à chaque mouvement de son encolure, un poitrail de cuir garni de plaques luisantes comme de l’or, une selle large, rembourrée, couverte d’un beau tapis de laine de couleur sur le dos, avec un gros pommeau de cuir et de cuivre pour s’appuyer sur le devant, et deux étriers de fer suspendus à des courroies courtes, au milieu de la selle, pour qu’une femme y pût mettre ses pieds.

« — Allons, Geneviève, me dit Cyprien, ne perdons pas un coup de l’horloge ; la route est longue, le soleil marche vite une fois qu’il sort des sapins, la famille nous attend. »

« Je fermai la porte, je lui donnai les clefs comme s’il eût été déjà mon mari. Il me prit dans ses bras tout comme si j’avais été une javelle d’orge verte ; il m’assit sur la selle, il passa mes pieds dans les étriers, il me mit la bride dans une main, il me dit de me tenir de l’autre main au pommeau de la selle :

« — N’ayez pas de crainte, Geneviève, qu’il me dit, je vais