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moi, contente-toi, descends à la plaine, fais la cour à Geneviève, puisque ton bonheur est là ; mais enfin il faut que tu te maries, l’ouvrage est large et nous nous faisons vieux. » Alors il partait bien résolu de s’expliquer avec vous, mademoiselle ; et puis, quand il remontait et que nous lui demandions : « Que lui as-tu dit, et qu’est-ce qu’elle t’a répondu ? — Rien, disait-il ; je n’ai jamais osé ; c’est une fille de la plaine, et moi, je suis un garçon des montagnes ; c’est une demoiselle de la ville, et moi, je suis un paysan du village. J’ai eu peur d’être méprisé, et puis, si on m’avait dit non, je serais tombé de chagrin sur la route. Je n’ai pas parlé, mais je serai plus hardi la saison qui vient, laissez-moi faire. » La saison qui vient s’en allait toujours de même, et le pauvre garçon séchait sur pied, et nous le voyions dépérir de l’été et l’automne. À la fin, je lui ai dit : « Veux-tu que j’y aille, moi ? Ta mère est boiteuse, elle ne pourrait jamais descendre si bas et remonter si haut. Je suis vieux, mais je suis hardi, va ; je chercherai une chose ou l’autre à acheter dans sa boutique, je serai un rusé montagnard pour lier la conversation avec elle ; je m’informerai dans Voiron, je saurai si c’est une brave fille, je verrai si elle est avenante, si elle est jolie, si elle est bonne pour le pauvre monde, et je lui dirai : « Cyprien vous aime ! » J’ai fait comme j’avais dit, mademoimoiselle Geneviève ; ne m’en voulez pas ; et maintenant, vous, dites-moi franchement, à votre tour, aimez-vous Cyprien ? »