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une ancienne et fidèle pratique de la maison ; il ne logeait jamais ailleurs que chez moi, quand il montait pour travailler, l’été, sur nos hauteurs ; nous parlions ensemble de sa pauvre femme malade et des trois enfants qu’il en avait. Le brave homme, il a trop pris le chagrin à cœur ; il s’est noyé lui-même ; mais cela n’empêche pas que c’était un brave homme, allez, et dont le nom ne fera pas honte à porter à ses enfants. »

En parlant ainsi, il entra sans façon derrière moi, et s’assit sur la chaise où Cyprien s’était assis si souvent tout près de moi.

« — Eh bien, mademoiselle, me dit-il, en me voyant asseoir, toute rouge et toute troublée, devant le comptoir, vous croyez donc qu’à mon âge je ne sais pas compter jusqu’à trente-six, et que je donne mes pauvres liards pour une révérence de jeune fille ? N’en croyez rien, continua-t-il d’un air bon et fin. Mon fils me disait toujours : Il n’y a pas une fille plus honnête dans Voiron, elle ne surferait pas d’un sou ses pratiques, pas même un passant, pas même un inconnu. — Ah bah ! que je lui disais, Cyprien, tu ne connais pas le beau monde ; je ne m’y fierais pas tout de même. — Eh bien ! allez-y voir, qu’il me dit. Je ne la préviendrai pas ; je ne lui ferai rien dire, et si elle vous trompe… eh bien ! je ne m’arrêterai plus jamais devant sa porte, ça sera fini, quoi ! car toute jolie qu’elle est, si elle n’était pas honnête, je ne l’aimerais plus, voyez-vous. »

« Il m’aime donc ? » que je me dis tout bas, dans le cœur, sans oser lever les yeux.

« Le vieillard continua :

« — Alors j’ai dit : « Allons-y voir nous-même. » J’ai mis mes guêtres ; j’ai laissé Cyprien chanter à ma place au chœur ; j’ai demandé la boutique de Geneviève ; je suis