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de voir le bonheur sur les visages de ces jolies filles toutes rouges du bal, qui s’en allaient chuchoter avec leurs fiancés auprès du puits de la cour ou contre le buisson en fleur du jardin. Je me disais : « Elles auront bien du mal dans la vie, c’est vrai ; mais elles ne seront pas seules à la maison, seules à l’ouvrage, seules dans leur jeunesse, seules sur leurs vieux jours, comme moi, quand j’aurai élevé et marié Josette ; elles auront autour d’elles de jolis enfants comme ma petite sœur, qui chaufferont leurs mains l’hiver à la cendre du foyer, qui se pendront à leurs tabliers, qui les appelleront vers leur berceau le soir et le matin pour les embrasser !… Mais moi ! je n’aurai rien, quand Josette sera partie, que les quatre murs blancs de la chambre, le bruit du tison, l’hiver, se consumant dans l’âtre, et le bourdonnement des mouches, l’été, contre les vitres ! » Cela me faisait respirer quelquefois plus fort que pour avoir mon souffle ; la petite, qui me voyait rêver et qui m’entendait soupirer, me disait : « Qu’est-ce que tu as donc, Geneviève ? Est-ce que je t’ai fait du chagrin ? — Non, que je lui disais en l’embrassant, ma petite ; bien au contraire, tu me fais trop de plaisir, je t’aime trop ; mais c’est que je pense au temps où tu ne seras plus là. — Et pourquoi plus là ? me répondait-elle ; est-ce qu’il y aura un temps où tu ne m’aimeras plus ? — Oh ! non, répondais-je ; mais c’est qu’il viendra un temps où tu en aimeras d’autres. » Elle ne comprenait pas, la pauvre innocente, et nous reprenions notre ouvrage, elle en regardant par la fenêtre et en folâtrant, moi en regardant mon aiguille et mon fil, et en cachant une larme ou deux sous mes cils baissés.