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sérieuse, raisonnable, avant l’âge de huit ans. Elle me disait : « Geneviève, il me faut cela, il me faut ceci ; apporte-moi Josette sur mon lit, que je lui donne à teter ; remporte-la dans son berceau et berce-la du bout de ton pied jusqu’à ce qu’elle dorme ; va me chercher mon bas, ramasse mon peloton ; va couper une salade au jardin ; va au poulailler tâter s’il y a des œufs chauds dans le nid des poules ; hache des choux pour faire la soupe à ton père ; bats le beurre ; mets du bois au feu ; écume la marmite qui bout, jettes-y le sel ; étends la nappe ; rince les verres ; descends à la cave, ouvre le robinet, remplis au tonneau la bouteille de vin. » Et puis, quand j’avais fini, qu’on avait dîné et que tout allait bien, elle me disait : « Apporte-moi ta robe que je te pare, et tes beaux cheveux que je les peigne. » Elle m’habillait, elle me parait, elle me peignait, elle m’embrassait, elle me disait : « Va t’amuser maintenant sur la porte avec les enfants des voisines ; qu’ils voient que tu es aussi propre, aussi bien mise et aussi bien peignée qu’eux. » Et j’y allais un moment pour lui faire plaisir, mais je n’allais jamais plus loin que le seuil de la cour, pour pouvoir entendre si ma mère me rappelait, et je n’y restais pas longtemps, parce que les enfants se moquaient de moi et disaient entre eux : « Tiens, la sérieuse, elle ne sait jouer à rien, laissons-la. » J’aimais mieux rentrer et me tenir debout auprès du lit de ma mère, épiant dans ses yeux ce qu’elle pouvait avoir à demander. Tous les jours se passaient ainsi ; je me levais la première, je me couchais la dernière. Je ne respirais l’air que par la fenêtre, je ne voyais le soleil que sur le seuil de la porte, et voilà pourquoi, monsieur, j’avais le visage blanc. On disait à ma mère : « Votre petite a donc les pâles couleurs ? — « Oh ! non, répondait-elle ; mais c’est qu’elle a la pâle vie ! » Je n’allais pas même à l’école.