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« — Et qui est-ce qui vous en empêchait ? lui dis-je.

« — Ah ! vous allez savoir, monsieur. Mais laissez-moi dire.

« Ma pauvre mère, quoiqu’elle n’eût encore que trente-deux ans, ne quittait pas le lit depuis la naissance de ma petite sœur. Elle n’avait point de maladie apparente, point de toux, point de fièvre, point de mal d’estomac ou de mal de tête ; elle avait le visage aussi frais, l’œil aussi vif, la peau aussi blanche qu’une jeune fille ; mais elle ne pouvait plus se servir de ses jambes, même pour se retourner dans son lit. On disait que son lait s’était tourné par quelque peur en nourrissant Josette, ou bien qu’elle était sortie trop tôt après son accouchement pour aller mouiller ses toiles, et que c’était l’humidité du pré qui avait fait cela. Si vous l’aviez vue assise sur son lit, au soleil, appuyée sur son oreiller, travaillant de ses mains librement tout le jour à ourler, à plier, à raccommoder ses toiles ou à éplucher les herbes pour la soupe du père et des enfants, vous auriez cru que c’était une jeune accouchée qui allait se lever dans deux jours, ou une femme paresseuse qui restait au lit jusqu’à midi. Ah ! monsieur, ce n’était pas cela ; elle n’était jamais sans un ouvrage à la main, elle pensait à tout, elle veillait sur tout, elle travaillait encore entre ses rideaux à la lueur du crésieu suspendu à la colonne du lit quand tout le monde dormait déjà dans la maison ; elle essayait chaque matin de se lever quand tout le monde dormait encore, espérant toujours que les forces lui seraient peut-être revenues dans les jambes pendant la nuit ; et puis, quand elle sentait que c’était comme la veille, elle pleurait un peu ; mais elle se consolait vite et faisait semblant d’être gaie pour ne pas attrister mon père et mon frère sortant pour l’ouvrage.

« Mes deux grandes sœurs sortaient aussi pour aller aux toiles le matin et à la fabrique après. On ne les revoyait qu’à