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« — Comment, répliquai-je, avez-vous mené si jeune une vie si rude ?

« — Oh ! monsieur, elle n’était pas rude ; elle était pénible et toujours debout, c’est vrai ; mais elle était bien douce, au contraire, et, si Dieu voulait ressusciter ma mère, je la recommencerais bien cette vie, et je serais bien heureuse encore de la recommencer.

« — Contez-moi donc cela, puisque vous n’avez rien à faire, que j’ai fini de lire mon livre, et que nous avons une longue veillée devant nous. Je voudrais savoir l’histoire de tout le monde, lui dis-je en souriant ; car voyez-vous, Geneviève, l’esprit n’est qu’une grande curiosité comme la science. Il y a un enseignement, pour celui qui comprend, dans la vie de chacun.

« — Mais je ne suis qu’une pauvre servante, et je n’ai jamais été autre chose : que voulez-vous que je vous dise ? Cela vous ennuierait comme le bruit de mes aiguilles de bas ennuie les enfants.

« — Vous seriez la fourmi du plancher, le grillon de la cheminée, l’araignée de la poutre, que cela m’intéresserait, répondis-je, et que j’aimerais à connaître leur histoire, d’où ils sortent, ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils deviendront. Il y a un commencement, une fin, un sens à toute chose vivante. Si l’on connaissait tout, on ne serait indifférent à rien.

« — Oui, on serait comme Dieu, me dit-elle en éclairant son sourire d’un rayon de claire et tendre intelligence. Monsieur le curé le disait bien, quand il recommandait de ne pas maltraiter les animaux et de ne pas s’impatienter contre les mouches. « Vous n’avez pas le droit de rien mépriser et de dire : Ce n’est rien, puisque Dieu l’a fait, » qu’il disait.

« — Précisément, ma pauvre Geneviève, repris-je en retrouvant dans ces paroles toute l’âme de Jocelyn ; tout est