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maille, les deux bouts luisants de ses aiguilles de bas. Ce bruit vivant, paisible et monotone comme celui du balancier d’une pendule au coin du feu, me tira de ma rêverie et m’enhardit à lier une conversation sérieuse avec elle.


VII


« Geneviève, lui dis-je, vous ne vous reposez donc jamais ?

« — Oh ! monsieur, me dit-elle, je n’ai pas été faite par le bon Dieu pour me reposer. J’ai commencé à travailler le jour où j’ai pu me tenir sur mes jambes, et je travaillerai jusqu’au jour de ma mort. Nous avons bien le temps de nous reposer là-bas, ajouta-t-elle en me faisant un geste de la tête et du coude vers le cimetière pour ne pas perdre une des mailles de son tricot en dérangeant sa main.

« — Comment ! repris-je, vous avez travaillé si jeune ! Vous n’avez donc jamais été enfant, jamais joué avec les autres, jamais perdu le temps dans la rue, à la fenêtre, le long des buissons ? Votre mère était donc bien dure ou bien avare de badinage et de désœuvrement pour ses enfants ? Mais, alors, comment avez-vous, vous-même, l’air si doux et enjoué avec les enfants du village, que vous laissez jouer tous les jours dans la cour, arracher vos fleurs et tirer vos aiguilles sans les gronder ?

« — Ah ! monsieur, ceux-là, c’est différent, voyez-vous ; ils ont leur père et leur mère qui leur cuisent le pain ; mais moi, je n’étais pas comme eux. Je n’ai eu un peu de bon temps dans ma vie qu’ici et depuis que monsieur le curé a consenti à me prendre et son service. Jusque-là, je ne savais pas ce que c’était que de s’asseoir et de regarder le soleil, le feu ou les passants.