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sans glorifier dans mon cœur la domesticité. Le voici :

Le duc de Norfolk, parent et héritier du trône de la reine Élisabeth, se prend d’amour pour la Cléopâtre moderne, pour la captive d’Holyrood, pour la belle et infortunée Marie Stuart, reine d’Écosse. Il conspire avec ses vassaux pour l’enlever de son cachot et pour lui rendre un trône. Élisabeth découvre le mystère de ces amours, rompt la trame, arrête Norfolk et le fait condamner à avoir la tête tranchée sur un échafaud dressé dans la Tour de Londres. Le duc, accompagné de ses amis, à qui il était permis alors de faire cortége au mourant, s’avance fièrement vers le lieu du supplice. Arrivé au pied de l’échafaud, il a soif et demande à boire. « Une femme âgée et voilée, qui l’avait suivi tout en pleurs, dit l’historien, lui présenta une coupe que le duc reconnut aussitôt. C’était sa propre coupe, celle de ses ancêtres ; et cette femme, prévoyante et attentive jusqu’à la mort était sa nourrice, la servante de ses châteaux. Elle versa de l’ale dans la coupe, le mourant y trempa ses lèvres. Lorsqu’il rendit la coupe vide à la pauvre femme, elle saisit et baisa en pleurant la main de son maître. « Que Dieu te bénisse ! lui dit le duc, et que nos enfants te vénèrent à cause de ce que tu as fait ! » Puis, comme il sentit qu’il s’attendrissait à l’heure où l’homme a besoin de sa force, il monta rapidement les degrés de l’échafaud, appuyé sur le bras du doyen de Saint-Paul. »

L’antiquité n’a rien de plus naïf et rien de plus touchant que cette coupe reconnue à l’heure où on laisse tout sur la terre, et cette main de servante tendant au Seigneur le coup de l’échafaud.