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XXIV


« — Or, pendant que le besoin de lire s’accroît par tant de motifs chez le peuple, le besoin et la faculté d’écrire s’accroissent aussi dans une égale proportion dans les classes lettrées. Pour un écrivain qu’il y avait autrefois, on en compte cent ou même mille aujourd’hui.

« — Pourquoi donc ? me demanda-t-elle avec un air d’étonnement.

« — Par la raison qui vous a fait écrire vous-même vos vers au chardonneret et vos autres petites compositions ; parce qu’il y a plus de pensée, plus de sentiment, plus d’inspiratnion, plus d’instruction, plus de loisir, plus de nécessité de produire dans la masse lettrée du pays, qu’il n’y en avait il y a un siècle. La révolution a défriché plus de parties incultes du sol de l’humanité. Ce qui ne végétait pas végète ; ce qui ne produisait pas produit. On a semé des idées, il a poussé des intelligences.

« Et puis, comme l’éducation classique s’est immensément multipliée, il est sorti d’année en année des études une élite de jeunes hommes de talent, de pensée, de style, qui ne savent que faire de tous ces dons, à moins d’en faire de la réputation, de la fortune, de la gloire. L’Église, qui les absorbait en grande quantité dans l’ancien régime, qui les enrichissait par ses bénéfices et ses fonctions lucratives de toute espèce, ne les absorbe plus ; l’empire, qui les dévorait dans ses armées, ne les fauche plus en coupes réglées. Ils n’ont que deux carrières : les fonctions publiques ou la littérature. Ils font des journaux, des articles, des romans, des poésies, des livres. La grande multitude