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m’auraient fait un crime de la seule pensée de l’aimer. Mais j’étais bien plus qu’amoureux. Ses regards avaient absorbé ma volonté. Je m’étais senti pénétrer dans cette atmosphère de rayons, de langueur, de feu, de larmes, de splendeur et de mélancolie, d’éclat et d’ombre, qui enveloppait cette magicienne de vingt ans. Je l’aurais suivie involontairement, comme la feuille morte suit le vent qui court. Un ami, un sauveur, un frère, un complaisant, un esclave, un martyr, une victime volontaire, elle pouvait faire tout de moi, tout, excepté un amant !

Elle le voulut et elle le fit.

Je dînai avec les deux étrangères, je restai longtemps encore après à la fenêtre sur les prés qu’éclairait une belle lune, à causer à voix basse avec Régina de son amour et de mon malheureux ami. Sa grand’mère, malade et toujours couchée sur le matelas, gémissait et soupirait dans l’ombre de la chambre sur l’horrible perspective de mourir à l’étranger, en laissant sa petite-fille à la merci de l’exil ou de la tyrannie qui voulait opprimer son cœur ! Je la consolais par l’espérance de la liberté sans doute bientôt rendue à Saluce, et par mes protestations de dévouement à leur infortune passagère. Nous roulions différentes idées dans nos esprits sans nous arrêter à aucune. Enfin je les engageai à se reposer toute la matinée du lendemain au Pont-de-Pany, pour que ce repos rendît des forces à la comtesse ; je lui promis de revenir le soir du jour suivant me mettre à leurs ordres pour les suivre là où elles auraient décidé d’aller s’établir. Je dis à la grand-mère de me regarder comme un fils, à Régina de se fier à moi comme à un frère. En retrouvant dans ma bouche les mots et l’accent de leur patrie que j’avais conservé depuis mes longs séjours à Rome, elles croyaient retrouver leur ciel et leur nature. Je pris congé d’elles et je remontai lentement,