Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 30.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

son nom. Je ne puis l’adresser qu’à toi ; cache-moi mon trésor, et sois pour elle ce que j’aurais été pour celle que tu as aimée.

» Saluce. »


Je ne fus nullement surpris de cette lettre et de la prison d’État d’où elle était datée. Les lettres précédentes de Saluce m’avaient assez préparé à quelque catastrophe de ce genre. Cependant je fis une exclamation de douleur plus que d’étonnement.

« Hélas ! oui, dit la vieille femme, en nous sauvant il s’est perdu, lui ! Mais, patience ! le procès se jugera ; j’ai des amis encore dans les juges. La justice triomphera, je n’en doute pas.

« — Et l’amour ! » s’écria la jeune fille en baisant un portrait qui était incrusté dans un bracelet au bras de la comtesse et dans lequel je reconnus le portrait de Saluce.

Alors elles me racontèrent tour à tour, et souvent toutes deux à la fois, le dénoûment d’une passion dont je connaissais déjà toutes les phases par la correspondance de mon ami. Des torrents de larmes furent versés pendant ce récit par les deux étrangères. Je retenais à peine les miennes. Elles finirent par implorer mes conseils, ma direction et mon appui pendant l’exil auquel les condamnait leur infortune. Si l’amitié et la pitié n’avaient pas suffi pour me commander le plus absolu dévouement à leur sort, la merveilleuse beauté de Régina ne m’aurait pas laissé la faculté même d’hésiter. Son regard, sa voix, son sourire, ses larmes, le tourbillon d’attraction dans lequel elle entraînait et subjuguait tout ce qui l’approchait, ne me faisaient sentir que le bonheur de me dévouer à la fois à un devoir et à un entraînement. Je n’étais pas amoureux ; l’état de mon âme, mon devoir envers mon ami captif,