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N’est pas un sentiment fragile et passager
Qu’un jour peut faire éclore et qu’un mot peut changer ;
Tristan, il est nous-même, il est notre pensée
Dans le cœur l’un de l’autre en naissant retracée ;
Il est notre mémoire et notre souvenir,
Nos peines, nos soucis, le passé, l’avenir,
Et le sang qui s’anime, et l’air que je respire !
Sur un tel sentiment nulle voix n’a d’empire !
Il brave et l’injustice et l’outrage du sort,
Et, pour l’anéantir, il n’est rien que la mort !
Va, ne tente donc pas d’en étouffer la flamme ;
Il est à toi, Tristan, par tous les droits de l’âme,
Par tous les noms sacrés les plus chers à mon cœur,
D’ami, d’amant, de frère ou de libérateur !
Mon amour te les garde, et ce cœur qui t’adore,
S’il en est un plus doux, te le consacre encore !
Oui ! je le jure ici, par tous ces noms chéris,
Par ce lait fraternel dont nous fûmes nourris,
Par l’âme de ma mère et ces larmes dernières
Que versèrent sur nous ses mourantes paupières,
Par ce même berceau qui nous reçut tous deux,
Par ces premiers amours nés de nos premiers jeux,
Par ce ciel qui m’entend, par ce lac tutélaire
Dont ton berceau flottant endormit la colère,
Par cette nuit suprême où, ravie au trépas,
L’amour qui t’inspirait me sauva dans tes bras ;
Par ma part dans le ciel, par mon nom de chrétienne,
Jamais ma main n’aura d’autre appui que la tienne,
Jamais mon cœur n’aura d’autre maître que toi !
Reçois devant le ciel ce gage de ma foi ;
C’est de ma mère, hélas ! le plus cher héritage,
Le gage de sa foi, l’anneau de mariage
Que l’heure de la mort à son doigt a trouvé,
Et qu’en secret pour toi mon cœur a réservé !