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Et près d’avoir perdu son unique trésor,
Avant de s’endormir la contempler encor.
D’un signe de sa main il défend qu’on le suive,
Ouvre près de son lit une porte furtive,
Et lui-même portant la torche dans sa main,
Du haut donjon d’Hermine il suit le long chemin.
Nul soldat ne veillait dans le corridor sombre,
Tout était dans ces lieux repos, solitude, ombre.
Le vieillard de la porte approche à petits pas.
« Nourrice, ouvrez, » dit-il. On ne lui répond pas.
Du lourd loquet de bronze il presse la coquille,
Il entre, son regard cherche soudain sa fille.
Il voit son siége vide, il voit son lit désert,
Ses bijoux dispersés dans son coffre entr’ouvert,
Et de ses blonds cheveux une boucle échappée,
Auprès des ciseaux d’or dont elle fut coupée,
Sur sa table d’ébène est jetée au hasard.
Tout annonce à ses yeux un mystère, un départ…
« Ces bijoux oubliés, ces coffrets, cette tresse,
C’est peut-être, ô mon Dieu ! l’adieu qu’elle me laisse. »
Mille soupçons affreux s’élèvent… Plein d’effroi,
Il monte à pas pressés l’escalier du beffroi :
« Sentinelle, as-tu vu chevaucher sur la route ?
Des pas, des voix, ont-ils résonné sous la voûte ?
A-t-il parti du bord une voile, un esquif ?
— Je n’ai rien entendu, que l’eau sur le récif.
Seulement, sur le pré qui domine la plage,
À l’heure de minuit j’ai vu descendre un page,
Et peu d’instants après, au jour de ce ciel pur,
Une ombre à pas muets glisser contre le mur !
— Où sont-ils ? réponds-moi. — Seigneur, de cette place,
L’angle du bastion dérobe la terrasse,
Mais l’œil peut y plonger du sommet du beffroi.
— J’y cours. Baisse ton front, sentinelle, et suis-moi ! »