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Descendent par degrés jusques aux servants d’armes,
Où Tristan va cacher son triomphe et ses larmes.
Là, tandis que son nom retentit en tous lieux,
Sur ses égaux d’hier n’osant lever les yeux,
Il rougit d’être assis parmi ceux qu’il honore,
Et plus bas, s’il se peut, voudrait descendre encore.
En vain les écuyers, pour plaire à leur seigneur,
Lui présentent les vins et la coupe d’honneur ;
Du doux jus des coteaux en vain sa coupe est pleine,
En feignant d’y puiser sa lèvre y trempe à peine,
Et son cœur, d’amertume et de honte abreuvé,
Lui fait trouver amer tout ce qu’il a goûté.
Il accuse en secret la lenteur des convives,
Il compte chaque instant des heures trop tardives ;
Puis, d’un regard furtif contemplant ces doux traits
Qu’il grave dans son âme et va perdre à jamais,
Il se dit, en comptant le temps qui s’évapore :
« Dure à jamais le jour où je la vois encore ! »


Les lices aux tournois, les danses aux festins,
De l’aurore à la nuit, de la nuit au matin,
Durant trois jours complets, durant trois nuits entières,
Chassèrent le sommeil de toutes leurs paupières.
Mais au dernier repas de la troisième nuit,
Quand, déjà chancelants de fatigue et de bruit,
Les convives lassés succombaient à l’ivresse,
Le baron de Neuf-Tours à Béranger s’adresse :
« Seigneur ! n’avez-vous donc pour orner votre cour
Trouvère ou ménestrel, barde ni troubadour ?
Quitterons-nous ces lieux sans que de son écharpe
L’enfant perdu du lac ait dénoué sa harpe ?
— Excusez-moi, seigneur, dit Tristan tout confus,
J’imite les héros, je ne les chante plus. »