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La rame bat les flots, la barque glisse et vole ;
Hermine, retrouvant à peine la parole,
Raconte en rougissant ce qu’a fait son sauveur ;
Comment il a risqué ses jours pour son honneur ;
Comment son bras, plus fort que la vague et l’orage,
Au milieu de la nuit l’a portée au rivage ;
Comment, près d’un foyer par ses mains allumé,
Dans son corps engourdi son cœur s’est ranimé,
Et comment, par ses soins la rendant et la vie,
Il l’a tout à la fois respectée et servie.
Béranger, en silence, écoutait ces récits ;
En cercle autour de lui ses chevaliers assis,
De surprise et d’orgueil ne pouvant se défendre,
Sur l’épaule du preux se penchaient pour entendre ;
Et les rameurs, eux-même, enchaînés par la voix,
Du page rougissant écoutaient les exploits,
Et, contemplant Hermine à leur amour rendue,
Oubliaient d’abaisser la rame suspendue.


Quand elle eut achevé, Béranger, l’œil baissé,
Sous tant d’émotions resta comme oppressé ;
Puis, d’un ton à la fois indulgent et sévère :
« Tristan, dit-il, en moi ton enfance eut un père,
Tu m’as rendu ma fille, et ce premier haut fait
Acquitte en un seul jour le bien que je t’ai fait ;
Mais mon cœur veut sur toi conserver l’avantage ;
Il n’était qu’un seul prix digne de ton courage,
Tu l’avais mérité ! je te l’aurais offert ;
Mais entre Hermine et toi l’abîme s’est ouvert,
Rien ne peut le combler, et pas même ta vie ;
Le jour qui me la rend à toi te l’a ravie ;
Ton père s’est nommé ; ton père, un mendiant,
Est venu près de moi réclamer son enfant ;