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grille de bois toujours brisée qui y conduit et par laquelle nous nous précipitions avec des cris de joie ; les plates-bandes de laitues qu’on avait divisées pour nous en autant de petits jardins séparés et que nous cultivions nous-mêmes ; le plateau au pied duquel notre père s’asseyait avec ses chiens à ses pieds au retour de la chasse ; l’allée où notre mère se promenait au soleil couchant en murmurant tout bas le rosaire monotone qui fixait sa pensée à Dieu, pendant que son cœur et ses yeux nous couvaient près d’elle ; le coin du gazon, à l’ombre et au nord, pour les jours chauds ; le petit mur, tiède au midi, où nous nous rangions, nos livres à la main, au soleil connue des espaliers en automne ; les trois lilas, les deux noisetiers, les fraises découvertes sous les feuilles, les prunes, les poires, les pêches trouvées le matin toutes gluantes de leur gomme d’or et toutes mouillées de rosée sous l’arbre ; et plus tard le berceau de charmilles que chacun de nous, et moi surtout, cherchait à midi pour lire en paix ses livres favoris ; et le souvenir des impressions confuses qui naissaient en nous de ces pages, et plus tard encore la mémoire des conversations intimes tenues ici ou la, dans telle ou telle allée de ce jardin ; et la place où l’on se dit adieu en partant pour de longues absences, celle où l’on se retrouva au retour, celles où se passèrent quelques-unes de ces scènes intimes pathétiques de ce drame caché de la famille, où l’on vit se rembrunir le visage de son père, où notre mère pleura en nous pardonnant, où l’on tomba à ses genoux en cachant son front dans sa robe ; celle où l’on vint lui annoncer la mort d’un fille chérie, celle où elle éleva ses yeux et ses mains résignés vers le ciel ! Toutes ces images, toutes ces empreintes, tous ces groupes, toutes ces figures,