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Trouvant l’herbe grandie ou le sentier plus rude,
N’a demandé, surpris de cette solitude,
Sur quels bords étrangers, dans quels lointains séjours
Le vent de l’inconstance avait poussé tes jours.
Ton verger ne voit pas une main mercenaire
Cueillir ces fruits greffés par ta main tutélaire,
Et ton ruisseau, content de son lit de gazon,
Comme un hôte fidèle à la même maison,
Vient murmurer toujours au seuil de ta demeure,
Et de la même voix t’endort à la même heure.
Ainsi tu vieilliras sans que tes jours pareils
Soient comptés autrement que par leurs doux soleils,
Sans que les souvenirs de ton heureuse histoire
Laissent d’autres sillons gravés dans ta mémoire
Que le cercle inégal des diverses saisons,
Des printemps plus tardifs, de plus riches moissons,
Tes pampres moins chargés, tes ruches plus fécondes,
Ou ta source sevrant ton jardin de ses ondes ;
Sans avoir dissipé des jours trop tôt comptés,
Dans la poudre, ou le bruit, ou l’ombre des cités,
Et sans avoir semé, de distance en distance,
À tous les vents du ciel ta stérile espérance !

Ah ! rends grâce à ton sort de ce flot lent et doux
Qui te porte en silence où nous arrivons tous,
Et, comme ton destin si borné dans sa course,
Dans son lit ignoré s’endort près de sa source !
Ne porte point envie à ceux qu’un autre vent
Sur les routes du monde a conduits plus avant,
Même à ces noms frappés d’un peu de renommée !
Du feu qu’elle répand toute âme est consumée ;
Notre vie est semblable au fleuve de cristal
Qui sort, humble et sans nom, de son rocher natal :