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Il est peut-être encor dans mon cœur déchiré
Quelque cri plus profond et plus inespéré
Que tu n’as pas encor tiré d’une âme humaine,
Musique ravissante aux transports de ta haine !
Cherche ! je m’abandonne à ton regard jaloux,
Car mon cœur n’a plus rien à sauver de tes coups.

Souvent, pour prolonger ma vie et ma souffrance,
Tu visitas mon sein d’un rayon d’espérance,
Comme on laisse reprendre haleine aux voyageurs,
Pour les mener plus loin au sentier des douleurs ;
Souvent, dans cette nuit qu’un éclair entrecoupe,
De la félicité tu me tendis la coupe,
Et quand elle écumait sous mes désirs ardents,
Ta main me la brisait pleine contre les dents,
Et tu me déchirais, dans tes cruels caprices,
La lèvre aux bords sanglants du vase des délices !
Et maintenant, triomphe ! Il n’est plus dans mon cœur
Une fibre qui n’ait résonné sa douleur ;
Pas un cheveu blanchi de ma tête penchée
Qui n’ait été broyé comme une herbe fauchée,
Pas un amour en moi qui n’ait été frappé,
Un espoir, un désir, qui n’ait péri trompé !
Et je cherche une place en mon cœur qui te craigne ;
Mais je ne trouve plus en lui rien qui ne saigne !

Et cependant j’hésite, et mon cœur suspendu
Flotte encore incertain sur le nom qui t’est dû !
Ma bouche te maudit ; mais n’osant te maudire,
Mon âme en gémissant te respecte et t’admire !
Tu fais l’homme, ô Douleur ! oui, l’homme tout entier,
Comme le creuset l’or, et la flamme l’acier ;