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LETTRE

» Oh ! non, jamais, dit-il ; jamais le temps ne me dure. Quand il fait beau, hors de la maison, je m’assois à une bonne place au soleil, contre un mur, contre une roche, contre un châtaignier ; et je vois en idée la vallée, le château, le clocher, les maisons qui fument, les bœufs qui pâturent, les voyageurs qui passent et qui devisent en passant sur la route, comme je les voyais autrefois des yeux. Je connais les saisons tout comme dans le temps où je voyais verdir les avoines, faucher les prés, mûrir les froments, jaunir les feuilles du châtaignier, et rougir les prunes des oiseaux sur les buissons, J’ai des yeux dans les oreilles, continua-t-il en souriant ; j’en ai sur les mains, j’en ai sous les pieds. Je passe des heures entières à écouter près des ruches les mouches à miel qui commencent à bourdonner sous la paille, et qui sortent une à une, en s’éveillant, par leur porte, pour savoir si le vent est doux et si le trèfle commence à fleurir. J’entends les lézards glisser dans les pierres sèches, je connais le vol de toutes les mouches et de tous les papillons dans l’air autour de moi, la marche de toutes les petites bêtes du bon Dieu sur les herbes ou sur les feuilles sèches au soleil. C’est mon horloge et mon almanach à moi, voyez-vous. Je me dis : Voilà le coucou qui chante ? c’est le mois de mars, et nous allons avoir du chaud ; voilà le merle qui siffle ? c’est le mois d’avril ; voilà le rossignol ? c’est le mois de mai ; voilà le hanneton ? c’est la Saint-Jean ; voilà la cigale ? c’est le mois d’août ; voilà la grive ? c’est la vendange, le raisin est mûr ; voilà la bergeronnette, voilà les corneilles ? c’est l’hiver. Il en est de même pour les heures du jour. Je me dis parfaitement l’heure qu’il est à l’observation des chants d’oiseaux, du bourdonnement des insectes et des bruits de feuilles qui s’élèvent ou qui s’éteignent dans la campagne, selon que le soleil monte, s’arrête ou descend dans le ciel. Le matin, tout est vif et gai ;