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XXXVI


Ces murs abandonnés pour Harold ont des charmes :
Dans la salle sonore il dépose ses armes ;
Ses pages sont assis à l’ombre au pied des tours ;
Ses fiers coursiers, paissant l’herbe des vastes cours,
Errent en liberté sur les funèbres pierres
Qui des sacrés martyrs indiquent les poussières ;
Et, les frappant du pied, de longs hennissements
Font résonner l’écho de ces vieux monuments.
Mais Harold n’entend plus leur voix qui le rappelle :
De caveaux en caveaux, de chapelle en chapelle,
Égarant nuit et jour ses pas silencieux,
Il murmure, il soupire, il lève au ciel ses yeux ;
Et son âme, oubliant des scènes effacées,
Reprend à son insu le cours de ses pensées.
Mais à quoi pense-t-il ?… Il est de courts instants
Où notre âme, échappant à la matière, au temps,
Comme l’aigle qui plane au-dessus des nuages,
Se perd dans un chaos de sentiments, d’images,
Fantômes de l’esprit, pressentiments confus
Que nul mot ne peut peindre et qu’aucun œil n’a vus ;
Ténébreux océan où, d’abîme en abîme,
L’esprit roule, englouti dans une nuit sublime,
Et du ciel à la terre, et de la terre aux cieux,
Jusqu’à ce qu’un éclair, éblouissant nos yeux,
Comme le dernier coup de foudre après l’orage,
Vienne d’un trait de feu déchirer ce nuage,
Et, répandant sur l’âme une affreuse clarté,
La replonge soudain dans son obscurité.