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XXV


Sur les sommets glacés du sauvage Érymanthe,
Des bords délicieux où le Lâos serpente,
Fuyant les fers sanglants d’un vainqueur inhumain,
De rochers en rochers nous gravissions en vain ;
Le féroce Delhys, que son vizir excite,
Nous suivant jusqu’aux lieux que le tonnerre habite,
Comme un troupeau de daims forcé par les chasseurs,
Fait tomber sous ses coups nos derniers défenseurs.
Déjà, du haut des monts sur nos camps descendue,
Notre dernière nuit nous dérobe à sa vue :
Nuit courte, nuit suprême, hélas ! dont le matin
Doit éclairer l’horreur de notre affreux destin !
Le sommeil ne vint pas effleurer nos paupières :
Les prêtres, vers le ciel élevant nos prières,
En mots mystérieux que nous n’entendions pas
Bénissaient sous nos pieds la terre du trépas ;
Sur le granit tranchant des roches escarpées,
Les guerriers aiguisaient le fil de leurs épées,
Et, les voyant briller, les pressaient sur leur cœur,
Comme un frère mourant embrasse son vengeur.
Assises à leurs pieds, les mères, les épouses,
De ces heures de mort, hélas ! encor jalouses,
D’une invincible étreinte enlaçaient leurs époux ;
Ou, posant tristement leurs fils sur leurs genoux,
Dans un amer baiser qu’interrompaient leurs larmes,
Pour la dernière fois s’enivraient de leurs charmes,
Et leur faisaient couler, avant que de périr,
Les gouttes de ce lait que la mort va tarir !…