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Dont les enfants du meurtre et leur postérité
Avaient couvert le sein du vieux monde habité.
Je ne sais quel instinct venu de père en père
Les poussait à rester voyageurs sur la terre :
Soit que du sang d’Abel par leur main répandu
Le cri vengeur par eux fût encore entendu ;
Soit qu’un féroce attrait nourri par l’habitude
Les chassât dans les monts et dans la solitude,
Et qu’ils crussent que l’homme, en fondant la maison,
De son indépendance élevait la prison.
Des rejetons vivants, comme des glands sans nombre,
Étaient sortis de lui pour grandir sous son ombre ;
Mais arrachés de terre ou par la mort fauchés,
De sa tribu proscrite ils étaient retranchés :
Les uns avaient péri dans ces terribles luttes
Qu’ils livraient dans les bois contre les rois des brutes,
Sous la griffe du tigre ou l’ongle des lions ;
D’autres s’étaient enfuis dans leurs rébellions ;
Traqués par les chasseurs jusque dans leurs asiles,
Plusieurs, traînés captifs par les enfants des villes,
Esclaves attelés à d’énormes fardeaux,
Ou, le frein dans les dents, leurs maîtres sur leur dos,
Des plus vils animaux leur rendaient les services,
Tandis que leurs enfants les servaient dans leurs vices.
Sept fils d’âge inégal et les fils de leurs fils,
Et leurs femmes au sein portant leurs tendres fruits,
Et le superbe essaim de dix vierges, leurs filles,
Restaient seuls au vieillard d’innombrables familles ;
Et ses yeux, en comptant sa race, pouvaient voir
Dans leurs rangs décimés décroître son espoir.