Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.


« Chut ! ne l’éveillez pas ! Voyez, leur disait-il,
Ces ondes où se noie un délicat profil !
Et ce cou plus moiré que le long cou du cygne,
Et de ce torse enfant l’harmonieuse ligne,
Comme sur la fontaine un flot à peine enflé,
Avant que du matin le zéphyr ait soufflé !
Et ces bras arrondis, et ce cœur que soulève
Le fantastique amour qui n’approche qu’en rêve ;
Et ces deux beaux pieds blancs aux orteils potelés,
Pour voler et bondir polis et modelés,
Comme deux cailloux ronds roulés par l’onde amère,
Et qui tiendraient encor dans la main de sa mère !
Oh ! qu’encore un printemps, oh ! qu’encore un été
Fassent épanouir ces bourgeons de beauté ;
Que le rayon d’amour, qui seul mûrit la femme,
À travers ces cils noirs en épanche la flamme ;
Et les fils de Baal, devant ce front divin,
À chercher un défaut s’épuiseront en vain !
Pour se la disputer, que de sang et de larmes !
Quels trésors dans mes mains couleront pour ses charmes !
Cent esclaves, amis, ne m’achèteraient pas
Ce doux philtre animé qui dort là sous mes pas. »


À cet ardent espoir de l’énorme salaire,
Un murmure confus d’envie et de colère
S’éleva dans les cœurs des compagnons jaloux :
« Autant qu’à toi, Memphid, n’est-elle pas à nous ?
Penses-tu que nos pieds se sont usés trois lunes
Pour t’enrichir toi seul de nos rares fortunes ?