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Tel qu’un buffle altéré lave ses crins immondes,
Il se plonge trois fois tout fumant dans les ondes,
Et trois fois, élevant sa tête sur les flots,
De son sang encor tiède il lave les caillots.
La bave d’Asrafiel sortit de sa morsure.
Daïdha de ses pleurs arrosa la blessure,
Et de Cédar enfin restaurant la vigueur,
Avec ses deux enfants se jeta sur son cœur.

Oh ! de crainte et d’amour quels rapides échanges
De mots inachevés qu’entendaient seuls les anges,
D’éclairs d’une âme à l’autre éclatant tour à tour,
Illuminant d’un mot les doutes de l’amour,
Dans ce rapide instant absorbèrent leurs âmes !
Pendant que l’incendie en ses longs jets de flammes
Leur jetait par moments ses sinistres reflets,
Et que le sol tremblait aux chutes des palais,
Amant, père, vainqueur, enfant, épouse, mère,
Leur joie accumulée était leur atmosphère.
Le ciel aurait croulé sur le monde englouti,
Que le bruit dans leur cœur n’en eût pas retenti.

Cependant ce vil peuple, achevant son ouvrage,
Jusqu’après le triomphe étendait le carnage.
Cédar en eût pitié ; la tête dans sa main,
Il pleura sur lui-même et sur le genre humain.
« Ô race, pensait-il, faite pour qu’on l’opprime,
Vengeras-tu toujours le crime par le crime ?… »