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Sous ses muscles vibrants le cœur s’accentuait,
Son regard foudroyait et son geste tuait.
Ainsi qu’une machine à son œuvre lancée,
Vers son but en aveugle il marchait sans pensée ;
L’éclair de la vengeance éclairait seul ses yeux.

La nuit jetait déjà son ombre sur les cieux,
Quand du haut de ses toits le peuple au cœur servile
Le vit gravir de loin les sentiers de la ville.
« Quel géant, disait-il, monte par le chemin ?
Où va-t-il ? d’où vient-il ? que tient-il dans sa main
Il brandit vers le ciel une étrange bannière ;
Des coursiers de la nuit on dirait la crinière !
Son ombre sur le mur dépasserait l’oiseau !
Un chêne sous son bras vibre comme un roseau !
Les portes de nos tours feraient baisser sa tête !
Est-ce le vent, l’éclair, la foudre ou la tempête ?
Accourez !… le voilà !… tremblez !… n’approchez pas ! »
Et la foule de loin se hâtait sur ses pas,
Et, s’ouvrant devant lui pour lui laisser la place.
En flots toujours grossis se fermait sur sa trace.

Lui cependant marchait, marchait, marchait toujours,
Comme un fleuve entraînant des ruisseaux dans son cours ;
Et levant dans sa main ces beaux cheveux de femme,
Que le vent déployait en flottante oriflamme.
Il semblait secouer le crime de Lakmi,
Tel qu’un réveil de feu sur ce monde endormi !