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– Esclave ! s’écria la malheureuse femme ;
Esclave ! lui le dieu du monde et de mon âme !
Esclave ! lui dont l’œil eût foudroyé des dieux !…
Quoi ! vous les avez vus ? quoi ! vus, touchés des yeux,
Ces cygnes sans duvet qu’échauffait mon aisselle ?
Ils avaient froid et soif ? pas même une gazelle !
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Vos femmes leur ont donc refusé leurs genoux ?
N’ont-elles point de lait dans leur sein comme nous ?
Oh ! pour nourrir d’amour ces fruits de mes entrailles,
Tout le mien coulerait à travers ces murailles !
Oh ! portez, portez-leur mon sang pour les nourrir !
Monstres ! laisserez-vous ces deux anges mourir ? »

Lakmi sentit son cœur au cri de la nature :
« Ils ne périront pas faute de nourriture,
Dit-elle ; tous les jours, les entendant pleurer,
Quelque mère en secret vient les désaltérer,
Et, d’un reste de lait assouvissant leur bouche,
Les soulève du sol et sur ses bras les couche.
– Du sol ? cria la mère en se levant debout ;
Du sol dur et glacé ? dites ! dites-moi tout !
Quoi ! sur la terre nue ils ont jeté leurs membres !
Quoi ! pas même sous eux les tapis de ces chambres !
Quoi ! ces corps délicats dans mes bras amollis,
Que de mon sein de mère auraient froissés les plis,
Sont à sans vêtements sur le sable ou le marbre,
Comme des passereaux tombés du nid sous l’arbre !