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On eût dit que la roche, abri du solitaire,
Avait pris une voix et louait Dieu sous terre.
Nous ne distinguions pas les mots ; mais les élans
De la voix pour l’oreille étaient assez parlants.
On y sentait l’ardeur et les bonds de l’extase
Qui d’un sein débordant jaillit et s’extravase,
Et de l’âme en travail le saint bouillonnement.
Mon guide s’arrêta sur la porte un moment,
Entre les cieux piliers tendit un peu la tête,
Prit ma main, et du doigt m’indiqua le prophète :
C’était lui ; l’œil fermé comme un homme assoupi,
Sur le seuil de son antre il était accroupi,
Les deux pieds sous son corps, dans la sainte attitude
Dont ses membres pieux avaient pris l’habitude.
Ses mains sur ses genoux, jointes par tous les doigts,
Le buste sur lui-même affaissé sous son poids,
Ses os près de percer sa chair d’anachorète,
Dessinés sous sa peau comme ceux d’un squelette,
Mais où l’on retrouvait la charpente d’un corps
Dont un esprit puissant avait mû les ressorts.
Tout ce buste était nu ; la lourde couverture
Que nouait une corde autour de sa ceinture
Déroulait seulement, pour ombrager le tronc,
Quelques plis effilés sur sa natte de jonc.
Ses longs bras attestaient la hauteur de sa taille ;
Son épaule adossée à la rude muraille,
Imitant par la peau la teinte du rocher,
Comme un bloc de sculpteur semblait s’en détacher ;
Et sur ce marbre blanc les yeux voyaient à peine,
Faible signe de vie, onduler quelque veine.