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Ces deux cœurs qui battaient à briser leur poitrine ;
Ce langage sans mots que le regard devine,
Qui dans un seul coup d’œil, au profane interdit,
Concentrait plus d’amour qu’un siècle n’en eût dit ;
Ces élans, ces soupirs, ces déchirantes poses,
Ces silences, ces bras tendus : toutes ces choses
Avaient à son esprit révélé dans ce jour
Tout un monde nouveau de tendresse et d’amour.
Amour qui l’étonnait et qui la troublait toute,
Qui rajeunissait l’âme à sa première goutte,
Et qui faisait tomber de ses impures mains
Le calice affadi des plaisirs inhumains !
Elle avait d’un coup d’œil plongé dans les délices
De cet amour des cœurs que lui cachaient ses vices,
Et se disait, brûlant de l’inspirer aussi :
« Je donnerais le ciel pour être aimée ainsi !…
Pour qu’un de ces regards qui font pâlir d’envie.
Intercepté par moi, vînt tomber sur ma vie. »
Mais comparant, d’un œil par l’amour éclairé,
Aux traits de Daïdha son front déshonoré,
Sa ruse à la candeur, son astuce à la grâce,
La pudique tendresse à sa virile audace,
La pâleur de sa joue aux neiges de ce teint,
De son abaissement elle avait eu l’instinct :
Elle s’était sentie impuissante, éclipsée,
Rougissant d’elle-même au fond de sa pensée !
La jalousie avait, en entrant dans son cœur,
Empoisonné le dard de son amour vainqueur ;
L’humiliation avait courbé sa tête,
Et tous ses sentiments n’étaient qu’une tempête !