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Sevrés de ces instincts, de ces doux sentiments,
Des cœurs liés par Dieu délicieux aimants,
Ne connaissant entre eux ni fils, ni sœur, ni frère,
Pouvant fouler leur mère ou coudoyer leur père,
Sans qu’au fond de leur cœur la tendresse parlât,
Ou que la parenté du sang s’y révélât.

Nulle audace en leurs cœurs ne naissait de leur nombre ;
Ils semblaient de leurs corps vouloir rétrécir l’ombre ;
Ils étaient séparés, au gré de leurs tyrans,
Selon leur aptitude, en métiers différents.
Les uns, le dos courbé, s’accouplant de lanières,
Traînaient les chars pesants dans les rudes ornières ;
Ou, comme des taureaux saignants de l’aiguillon,
Fumaient sous le soleil dans le feu du sillon.
À leurs corps déchirés par d’horribles supplices,
Les yeux reconnaissaient leurs ignobles services ;
L’habitude pliait leurs têtes et leurs cous,
Et leurs nuques gardaient les traces de leurs jougs.
Les autres, pour tailler ou pour scier les pierres,
Du marbre ou du porphyre excavaient les carrières ;
Et, pour les soulever sous leurs corps en piliers,
Écrasés sous les blocs périssaient par milliers.
Bien des membres manquaient a ces bêtes de somme ;
Leur corps n’était souvent que la moitié d’un homme.

Ceux-là, dressés par l’art à fondre les métaux,
À ciseler le bronze, à tailler les cristaux,