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Qui, découlant sans bruit sur les feuilles des bois,
À peine en fait frémir les sonores parois.
S’étendant, serpentant comme une énorme queue,
L’épaisse immensité se déroulait par lieue.
D’implacables pasteurs, des sceptres dans leurs mains,
Menaient, en les frappant, ces longs troupeaux humains ;
Serendyb de la voix les dénombrait : leur foule
Descendait, remontait en ondoyante houle
Que fait enfler sans fin le lit des océans ;
Écume qui fumait aux pieds de ces géants.
Leur avilissement, empreint dans leur posture,
De leurs profanateurs révélait l’imposture.
Ils ne redressaient pas leur front horizontal
Comme un homme qui voit dans l’homme son égal ;
Leurs pieds ne portaient pas leur corps droit sur sa base.
Comme la brute immonde, et qu’un lourd bât écrase,
Sous les verges de fer dont les bouts les frappaient,
Humiliant le front en passant ils rampaient.
On sentait qu’énervés jusqu’à la pourriture
Ils avaient dans leur moelle abdiqué leur nature,
Et descendu le vice à ce dernier degré
Où ce qui nous dégrade à nos yeux est sacré !

Ils passaient, séparés en innombrables groupes.
De vieillards décharnés d’abord d’affreuses troupes,
Vieux restes insultés, vils rebuts de troupeau,
Dont les os mutilés perçaient souvent la peau.
De noirs lambeaux troués, et souillés de vermines,
Par leurs mains retenus, laissaient voir leurs ruines.