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Pour être plus grands qu’eux, tenons-les à genoux !
Ne les laissons jamais se mesurer à nous ;
Dépassons-les du front ainsi que des idées ;
Que nos membres divins, mesurés par coudées,
Leur impriment toujours le respect par les yeux.
Tous leurs sens leur diront que nous sommes leurs dieux.
Notre premier prestige est la beauté divine ;
Mais depuis quelque temps cette force décline ;
De la nature en nous je ne sais quel affront
Presque au niveau des leurs abaisse notre front ;
La force des géants décroît avec leur nombre,
Des Titans d’autrefois nous ne sommes qu’une ombre.
La majesté du ciel pâlit dans notre aspect,
Et l’œil déçu commence à douter du respect.
Les empoisonnements, les meurtres et la guerre
Ont éclairci les rangs des maîtres de la terre,
Tandis que de sa fange un peuple plus nombreux
Ose pour les compter lever les yeux sur eux,
Et du temple énervé que notre bras décime
Avec étonnement voit décroître la cime.
Tremblons qu’à cet aspect de dégradation,
Il n’en tente plus tard la profanation,
Que notre abaissement ne lui soit une amorce,
Et qu’à notre faiblesse il ne sente sa force.
Si ce jour se levait jamais, malheur à nous !
La poudre de nos pieds nous engloutirait tous ;
Et de la liberté l’audacieux génie
Ferait sur les tyrans crouler la tyrannie !…
Mais la fatalité, ce seul dieu du plus fort,
Et surtout mon adresse écarteront ce sort.