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Ce rebord défendait le regard et les pas
De l’abîme ondoyant qui mugissait en bas.
Une branche d’un cèdre, ainsi qu’un noir nuage,
S’abaissant sur la place avec tout son feuillage,
Dont les perles d’écume étincelaient au jour,
Versait un peu de nuit et de fraîcheur autour,
Et laissait du matin les rayons et les ombres
Luttant dans les rameaux jouer sur ces décombres.
« Rendons grâce au Seigneur, dit le vieillard tout bas ;
Lui-même vers son saint il a guidé nos pas :
Nous sommes arrivés ; ces gigantesques tiges
Des arbres de l’Éden sont les sacrés vestiges ;
Du saint jardin ces lieux ont conservé le nom ;
Ces cèdres étaient vieux aux jours de Salomon ;
Leur instinct végétal est une âme divine
Qui sent, juge, prévoit, et raisonne, et combine ;
Leurs gigantesques bras sont des membres vivants
Qu’ils savent replier sous la neige ou les vents ;
Le rocher les nourrit, le feu les désaltère ;
Leur sève intarissable est le suc de la terre.
Ils ont vu sans fléchir sur leurs dômes géants
Le déluge rouler les flots des Océans :
C’est un de leurs rameaux que l’oiseau bleu de l’arche
Rapporta de l’abîme en signe au patriarche ;
Ils verront le dernier comme le premier jour !
L’ermite sous leurs pieds a choisi son séjour.
Voilà depuis les temps l’antre affreux qu’il habite,
Où l’esprit du passé nuit et jour le visite,
Où, des rameaux sacrés peuplés d’illusions,
Descendent sur ses yeux les saintes visions ;