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Son empire glissant lui pesait dans la main,
Et son règne d’un jour penchait sans lendemain.

« Monté, se disait-il pendant l’horrible fête,
Monté de ruse en ruse à ce sublime faîte,
En équilibre ainsi mon pied s’y tiendra-t-il ?
À de telles hauteurs tout vent est un péril.
Sous l’adoration tout œil cache l’envie ;
Toute haine mesure et dévore ma vie.
J’ai calmé jusqu’ici ce flot d’ambition
En jetant une proie à chaque passion :
Dans les plaisirs nouveaux où ma ruse les vautre,
J’ai, pour les amortir, opposé l’un à l’autre ;
Et, comme d’une voûte en butant les parois,
L’architecte soutient par le seul contre-poids
Ces grands blocs menaçants suspendus sur le vide,
Je marche en frémissant sous la voûte perfide
De haines, de complots et de rivalité,
Que soutient un moment ma seule habileté,
Mais dont un seul regard, un seul mot, un seul geste,
Détachant une pierre, entraînerait le reste,
Et sous mon édifice écraserait mon front.
D’obéir à mes lois tous ils s’empresseront
Tant que, tenus par moi dans une ardente lutte,
Ils craindront, moi tombant, de tomber de ma chute ;
Qu’ils croiront de mon règne avoir chacun leur part ;
Que leurs ambitions me feront un rempart ;
Et que, pour m’assurer leurs bras et leurs services,
J’aurai plus d’aliments qu’eux-mêmes n’ont de vices !