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Les Arabes pasteurs, dont les chameaux errants
Viennent de trente jours pour boire les torrents,
Qui suivent les saisons et dont les tentes blanches,
Portatives cités, brillaient entre les branches.
Nous dormions en tout lieu, sans soif et sans danger,
Car partout l’Orient a sacré l’étranger.
Enfin, aux sons d’airain de leurs cloches bénites,
Nous connûmes de loin les monts des Maronites ;
Et gravissant leurs pics où se brisent les vents,
Nous laissâmes en bas leurs plus sombres couvents
Les neiges, qui fondaient en pâle et jaune écume,
Fumaient comme des feux que le pasteur allume,
Et, roulant dans l’abîme en cent mille canaux,
Remplissaient l’air muet du tonnerre des eaux.
Nous marchions en tremblant où l’aigle à peine niche,
Quand au détour soudain d’une étroite corniche,
Nous vîmes, étonnés et tombant à genoux,
Des cèdres du Liban la grande ombre sur nous[1] ;
Arbres plantés de Dieu, sublime diadème,
Dont le roi des éclairs se couronne lui-même.
Leur ombre nous couvrit de cette sainte horreur
D’un temple où du Très-Haut habite la terreur.
Nous comptâmes leurs troncs qui survivent au monde,
Comme, dans ces déserts dont les sables sont l’onde,
On mesure de l’œil, en renversant le front,
Des colonnes debout, dont on touche le tronc.
De leur immensité le calcul seul écrase ;
Nos pas se fatiguaient à contourner leur base,

  1. Ezéchiel parle des cèdres d’Éden comme des plus beaux du Liban. Les Arabes de toutes les sectes ont une vénération traditionnelle pour ces arbres : ils leur attribuent non-seulement une force végétative qui les fait vivre éternellement, mais encore une âme qui leur fait donner des signes de sagesse, de prévision semblables à ceux de l’instinct chez les animaux, de l’intelligence chez les hommes. Ils connaissent d’avance les saisons, ils remuent leurs vastes rameaux comme des membres, ils étendent ou resserrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou inclinent vers la terre leurs branches, selon que la neige se prépare à tomber ou à fondre. Ce sont des êtres divins sous la forme d’arbres. Ils croissent dans ce seul site des groupes du Liban ; ils prennent racine bien au-dessus de la région où toute grande végétation expire. Tout cela frappe d’étonnement l’imagination des peuples d’Orient, et je ne sais si la science ne serait pas étonnée elle-même. (N. d. A.)