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Sachant peindre les sons et graver les paroles,
Écrire pour les yeux les choses en symboles,
Découvrir le métal, le tailler au ciseau,
Apprivoiser la brute et fasciner l’oiseau,
Par tous ces arts secrets dont j’avais l’habitude
Je voulus consacrer ma longue solitude :
J’aiguisai les poinçons, je forgeai les marteaux,
J’amincis sous leurs coups les lames des métaux.
Comme sur une écorce on grave avec l’épine,
J’y sculptai sur l’acier la parole divine.
Le livre tout entier, copié par ma main,
Passa, multiplié, dans mes pages d’airain.
Mille fois je refis et refais mon ouvrage ;
Dès que ma main pieuse en achève une page,
L’aigle prend dans son bec la lame de métal :
Dirigé par mon doigt au ciel oriental,
De son aile puissante il traverse l’espace ;
La cime du Liban derrière lui s’efface ;
Attiré par l’éclat des dômes habités,
Il plane dans les airs sur les grandes cités ;
Il écoute mugir ce grand volcan des âmes,
Comme du haut du cap nous entendons les lames ;
Il y laisse tomber de son bec entr’ouvert
Le morceau de métal de symboles couvert,
De ce livre sacré mystérieuse page,
Qui semble de Dieu même un céleste message,
Et qui, selon qu’il tombe en des bords différents,
Fait espérer l’esclave et trembler les tyrans.
Ainsi la vérité, que par lambeaux je sème,
Dans la corruption germera d’elle-même ;