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Où l’esclave, rebut des royales amours,
Disputait aux pourceaux l’aliment de ses jours ;
Mais ce besoin d’aimer qu’a toute créature,
Ce réveil de mon âme à la chaste nature,
Cet amour maternel et ces baisers pieux,
Me firent préférer ce toit aux toits des dieux !
Rapidement guéri par les soins de ma mère,
Détrompé de ces rois dont le culte est chimère,
Instruit secrètement du vrai nom du seul Dieu,
Je résolus de vivre ignoré dans ce lieu,
De nourrir de mes mains, esclave volontaire,
Les vieux jours d’une femme en travaillant la terre ;
Et, pour rendre le joug des hommes plus léger,
De le subir moi-même et de le partager.
Le bruit de mon trépas couvrait mon imprudence.
Caché sous les habits d’une vile indigence,
Aux derniers rangs du peuple à mon tour descendu,
Parmi ces vermisseaux je restai confondu.
J’y vécus de longs jours de paix et de misères.
Ma mère m’enseignait à soulager mes frères,
À panser leur blessure, à porter leur fardeau,
À leur distribuer l’huile ou la goutte d’eau.
Pour ne pas augmenter ma misérable caste,
Quoique jeune et brûlant, mon cœur demeura chaste ;
Pour un amour plus saint je me sevrais d’amour.
Rentré le soir près d’elle après le poids du jour,
À l’abri des tyrans oppresseurs de notre âme,
Nos prières montaient de ses lèvres de femme :
Elle me racontait de moins barbares mœurs,
Comment elle était belle entre toutes ses sœurs,