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Pour savoir si le cœur bat encor sous sa main
Se détourne toujours, elle, de son chemin !
Cette femme semblait interroger l’haleine
Des cadavres sanglants épars sur cette plaine ;
Elle écartait du doigt leur vêtement de fer,
Pour ouvrir leur poitrine et pour la réchauffer.
On eût dit que ses yeux épiaient avec crainte
Sur le sein de ces morts quelque fatale empreinte ;
De cadavre en cadavre enfin elle approcha,
Sur mon pâle visage à son tour se pencha,
Reconnut quelque souffle encor dans ma narine,
D’une main convulsive entr’ouvrit ma poitrine,
Et s’y précipitant en étouffant ses cris  :
« Adonaï ! dit-elle ; oh ! c’est toi ! toi, mon fils !
» Toi que leur cruauté ravit à mes tendresses,
» Et que la mort, hélas, rend seule à mes caresses ! »
Je sentais ses baisers, je percevais sa voix,
Je lui devais la vie une seconde fois :
Ce souffle palpitant de l’amour d’une mère
Rappelait de mon front la chaleur éphémère ;
À défaut de la voix, que je cherchais en vain,
Je répondais du cœur, du regard, de la main.
Elle étancha mon sang avec des fils d’écorce,
Et sur ses bras vieillis, qui retrouvaient leur force,
M’enlevant dans la nuit à ce champ du trépas,
Dans sa demeure obscure elle traîna mes pas.


» Hélas ! c’était un pauvre et repoussant asile,
Dans un lointain faubourg, sentine de la ville,