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Tendant leur coupe vide aux mains des échansons,
Leur front du vent des nuits savoure les frissons,
Et, dans les jeux sanglants de ces bêtes de proie,
L’accent du désespoir contraste avec leur joie !


» Vous frémissez sans doute, et vos cœurs innocents
Bondiraient soulevés d’horreur à mes accents,
Et mes hideux tableaux souilleraient vos pensées,
Et vous croiriez, enfants ; mes lèvres insensées,
Si j’achevais de peindre à vos yeux effrayés
La sentine du crime où leurs cœurs sont noyés !
Si je vous les montrais, dans leurs sanglants repaires,
Enviant leurs venins et leurs dards aux vipères,
Sans fin l’un contre l’autre ourdir et conspirer,
S’embrasser un moment pour s’entre-déchirer,
Des sentiments humains ne nourrir que l’envie,
Tuer, tuer toujours pour défendre leur vie,
Se rompre et se nouer en sourdes factions,
Se rouler dans les flots de leurs séditions,
Cacher sous leurs manteaux des armes toujours prêtes,
Se verser le poison dans la coupe des fêtes,
Et, pour goûter le fruit de crimes imparfaits,
Puiser dans leurs remords la soif d’autres forfaits !
Tant l’homme qui s’est fait son seul dieu de lui-même
Peut descendre à jamais sous un poids d’anathème ! »


Et les jeunes époux, échangeant un regard,
Involontairement s’écartaient du vieillard.