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» Or, ces hommes, enfants ! pour apaiser leur faim,
N’ont pas assez des fruits que Dieu mit sous leur main ;
Leur foule insatiable en un soleil dévore
Plus qu’en mille soleils les champs n’en font éclore ;
En vain comme des flots l’horizon écumant
Roule à perte de vue en ondes de froment :
Par un crime envers Dieu dont frémit la nature,
Ils demandent au sang une autre nourriture ;
Dans leur cité fangeuse il coule par ruisseaux !
Les cadavres y sont étalés en monceaux.
Ils traînent par les pieds, des fleurs de la prairie,
L’innocente brebis que leur main a nourrie,
Et, sous l’œil de l’agneau l’égorgeant sans remord,
Ils savourent ses chairs et vivent de la mort !
Aussi le sang tout chaud dont ruisselle leur bouche
Leur rend le goût brutal et le regard farouche.
De cruels aliments incessamment repus,
Toute pitié s’efface en leurs cœurs corrompus,
Et leur œil, qu’au forfait le forfait habitue,
Aime le sang qui coule et l’innocent qu’on tue.
Ils aiguisent le fer en pique, en glaive, en dard ;
Du métier de tuer ils ont fait le grand art :
Le meurtre par milliers s’appelle une victoire ;
C’est en lettres de sang que l’on écrit la gloire :
Les géants n’ont qu’un but, tuer pour asservir !
Le peuple les abhorre, et meurt pour les servir.
Ils poussent aux combats, sans colère et sans haines,
Des bandes de vautours et des meutes humaines,
Qui vont s’entr’égorger au signal de leurs yeux
Pour savoir quel tyran les écrase le mieux !